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L’indépendance des géants de l’Internet menacée par des enjeux de sécurité des états

De plus en plus amenés à collaborer avec les états qui les hébergent, les géants de l’Internet, américains comme chinois, perdent peu à peu de leur indépendance. La course à celui qui comptera ou conservera le plus d’utilisateurs se gagnera-t-elle un jour grâce à une capacité à préserver la liberté individuelle ?

 

 

La capacité des géants de l’Internet à rester indépendants s’amenuise de jour en jour. En Chine, la proximité civilo-militaire n’est pas un secret. Les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) collaborent étroitement avec le Parti et l’armée.

 

Le développement des capacités technologiques s’opère via une approche consistant à maintenir une synergie entre Etat, armée et secteur privé (fonds de capital-risque, start-up, etc.). Les BATX servent autant d’instrument de légitimation du Parti que de puissants relais à l’influence de Pékin. A titre d’exemple, WeChat, l’application de messagerie utilisée par près de 800 millions de Chinois est devenue un formidable outil de surveillance. Sa maison mère Tencent collabore avec la police pour surveiller les manifestations. Le géant de l’e-commerce Alibaba aide les municipalités dans la gestion du trafic routier. Son principal concurrent, JD.com collabore avec l’armée pour améliorer ses systèmes logistiques. La contrepartie apportée par l’Etat à ces concessions demandées à des entreprises privées est la protection du marché national afin de favoriser leur essor. Le cas d’Apple est symptomatique. La firme a dû relocaliser en Chine les données de ses utilisateurs Chinois, dans un data center géré conjointement avec un partenaire local.

 

Aux Etats-Unis, l’heure est au pragmatisme. Le débat porte sur la posture à adopter vis-à-vis de la Chine. Une première approche met en avant l’inexorable essor de la Chine dans le numérique et prédit le dépassement des Etats-Unis dans le domaine de l’intelligence artificielle notamment. Eric Schmidt, l’ancien président du conseil d’administration d’Alphabet (la maison mère de Google) conseille de préserver néanmoins des formes de coopération avec la Chine. Une seconde école considère que, malgré des investissements colossaux dans le numérique, la Chine ne parviendra pas davantage à dominer, comme ce fut le cas, malgré des grands plans annoncés, dans le domaine de l’automobile ou des semi-conducteurs.

 

Entre les deux, Xi Jinping constitue d’exercer un soft power à la chinoise. Ses échanges avec Mark Zuckerberg (Facebook) et Tim Cook (Apple) en octobre 2017 participent d’une volonté de déplacer le centre de gravité technologique du monde des Etats-Unis vers la Chine.

 

Tandis que dans son livre, The Governance of China (paru en 2018 chez Shanghai People’s Press) le Président chinois Xi Jinping affirme vouloir imposer des standards Chinois dans les technologies de rupture telles que l’IA ou la blockchain, un Livre Blanc américain, commandé par le département de la Défense, soulignait les dangers des investissements chinois dans les start-up américaines. Au milieu, l’Europe, pourtant toujours encline à parler de démocratie, avance très doucement. France, Allemagne et Italie demandent à la Commission européenne d’envisager l’idée que les Etats membres de l’UE puissent bloquer des investissements étrangers pouvant présenter des risques sécuritaires et économiques, en particulier dans le secteur des technologies de pointe, dont l’IA. Une bien timide doléance au regard des enjeux.

 

Article initialement publié dans Les Echos