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L’IA sera ce que tu en feras

Il ne fallait pas énerver Jean-Philippe Desbiolles, le Vice-President Watson/Cognitive Transformation d’IBM. A trop entendre de bêtises au sujet de l’intelligence artificielle, c’est d’une plume franche et directe qu’il s’est armé pour écrire ses quatre vérités sur le sujet, dans un libre intitulé L’IA sera ce que tu en feras. Amateurs d’interview sans langue de bois, et de formules choc, ces prochaines lignes sont pour vous.

 

Bonjour Jean-Philippe Desbiolles, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

J’en avais assez !

–          Depuis trop longtemps, les discours sur l’intelligence artificielle sont soit complètement alarmistes ; soit béni-oui-oui. Ils paralysent toute véritable adoption et développement de l’IA, notamment en France. Et surtout, ils nous déresponsabilisent.

–          Au bout de 10 ans d’expériences dans le domaine de l’IA, où j’ai eu la chance de réaliser des projets aux US, en Asie et en Europe il était temps de partager cette expérience afin que chacun et chacune puissent en faire leur propre parcours.

–          Enfin, l’IA est un changement majeur dont personne ne peut faire l’impasse. Il est donc capital que nous prenions en main ce sujet.

À travers ce livre, j’ai donc souhaité mettre en avant dix règles d’or qui sont autant d’axes de travail, pragmatiques et très opérationnels. Le livre met délibérément au cœur la transformation les hommes et les femmes, car c’est en fait l’enjeu majeur.

 

 

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

 

Je participe à de nombreuses conférences, aussi bien au niveau universitaire (Faculté de Médecine, ESSEC, INSEAD) que professionnel (Think, Technion Connected World, CES Unveiled…). Toutes les personnes qui lisent ce livre et me connaissent pourront vous dire que chaque page, chaque mot, c’est moi. Donc si on m’aime, il faut lire ce livre, si on m’aime pas, pas la peine ! 🙂

Et pour celles et ceux qui ne me connaissent pas encore, voici néanmoins un passage du livre qui leur permettra de comprendre à qui ils ont à faire :

 

« Humain : problème et solution ?
Ma conviction est que nous devons intervenir à la source du problème et… de la solution : l’humain. Nous sommes la clef.
Nous sommes le problème. Même si nous mettons en place les standards et réalisations évoquées à l’instant, le maillon faible demeure l’être humain. Si nous ne veillons pas à l’inclusivité et à la juste diversité du groupe d’individus qui sont à la naissance des processus d’IA et qui veillent ensuite à leur apprentissage et à leur amélioration, nous continuerons à créer des biais. Si un système est formé et supervisé avec l’aide d’un groupe « d’hommes blancs de 40 ans » (pour prendre cet exemple au hasard…), il en sera le reflet et s’appropriera leurs biais.
Nous sommes donc aussi la solution. Le véritable enjeu de l’IA sur ce sujet est la vigilance. Elle doit être collective et inclusive. Elle doit être le reflet de la diversité des hommes et des femmes qui travaillent sur le sujet. Le chemin est encore long ; beaucoup de travail reste à faire. Tant que ce point ne sera pas atteint, on aura beau avoir développé les meilleurs outils et standards, nous conti‐ nuerons à générer par définition des biais dans les systèmes d’IA.
Nous devons résister à cette tentation du tout technologique en pensant que c’est le rempart aux problèmes et écueils rencontrés, le vrai rempart est et restera l’humain partie prenante de cette révolution.  »

 

 

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

 

Il faut arrêter de parler de tendances. Le sujet de l’intelligence artificielle a été placé dans la classification General-purpose Technologies (GPTs). Ce classement reconnaît les technologies qui ont un impact systémique, affectant une économie entière au niveau global. À titre d’exemple, la vapeur, l’électricité ou encore l’Internet en font partie.

L’IA est une technologie qui change tout pour tous : elle sera capable d’influencer notre processus de décision à chaque étape et dans n’importe quel secteur.

Il s’agit d’une révolution humaine, pas une simple tendance. Elle est structurelle, c’est un cycle long. C’est un piège de penser que seules les professions très intellectuelles vont être touchées. Aux États-Unis, j’ai notamment travaillé avec un chef cuisinier qui se servait de Watson (l’intelligence artificielle d’IBM, ndlr), pour créer de nouvelles recettes innovantes. Mais il faut tout de suite souligner que le chef avait passé beaucoup de temps à entraîner la machine. Car j’aimerais aussi faire voler en éclat un autre mythe : l’IA n’a rien de magique, elle est très chronophage et requiert une intense collaboration entre l’homme et la machine notamment dans le processus d’apprentissage et de supervision des systèmes.

Cette pervasivité peut surprendre, mais il me semble indispensable de s’y préparer pour surfer sur la vague de l’IA et ne pas être submergé.  L’enjeu majeur est un enjeu humain dont l’adoption et l’appropriation sont les clés du succès. Une vague ne s’arrête pas, elle se surfe. Encore faut-il en comprendre les codes et implications. Donc arrêtons de parler des tendances et concentrons-nous sur l’application de l’IA dans tous les métiers ! Parce-que oui, nous allons vivre dans un monde augmenté et d’ailleurs les initiales IA ne devraient-elles pas signifier Intelligence Augmentée ?

 

 

 

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

 

Avant de vous donner mon conseil, j’aimerais partager trois idées-reçues :

 

–                      Premièrement, ne pas penser uniquement data mais penser processus d’apprentissage. L’enjeu de l’IA est d’apprendre à un système quelque chose dans un contexte et une finalité donnés. Cet apprentissage est mené par des hommes et des femmes qui opèrent donc un transfert de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être vers un système dit « intelligent ».

–                      Deuxièmement, ne pas penser uniquement algorithmie, statistiques, et mathématiques mais bien sciences cognitives. L’IA est un sujet éminemment humain. Elle couvre des dimensions cognitives au travers 6 sens : langage, voix, vision, raisonnement complexe, gestion du savoir et empathie.  – Enfin, n’en faisons pas uniquement un sujet technologique. C’est un sujet où la priorité est la conduite du changement, afin d’assurer l’adoption et l’appropriation des systèmes que nous mettons à disposition de hommes et des femmes. Nous sommes face à une nouvelle collaboration qui nécessite de nouvelles aptitudes.

 

Donc arrêtez de lire cet article et faites-le ! Il faut arrêter de croire en Harry Potter, l’IA n’est pas magique. Il y a un réel travail des hommes et des femmes pour former et superviser ces systèmes : fini les grands discours, place à l’action ! Dans le fait de faire, nous nous approprions le sujet de l’IA et en comprenons sa portée et ses limitations.

 

 

 

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

 

Nous sommes à un stade où la complexité de l’environnement dans lequel nous évoluons nous oblige à repenser le processus de conception et de réalisation. Le monde séquentiel est derrière nous : nous sommes dans un monde sans fin sur des cycles de plus en plus courts. Cela va nous obliger à redesigner complètement la façon dont nous appréhendons le futur. À ce titre, je travaille actuellement avec un expert américain dans le domaine de la Science-Fiction. Nous travaillons actuellement sur comment combiner création, science-fiction et technologie pour entrevoir les futurs, ensemble en combinant les capacités humaines et l’intelligence artificielle. Cela n’a jamais été fait, ce sera donc un première !

 

 

Merci beaucoup, Jean-Philippe Debiolles

 

Merci Bertrand

 

Le livre : L’IA sera ce que tu en feras, Jean-Philippe Desbiolles, Dunod, 2019.