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Pourquoi PayPal a dû tricher pour réussir

PayPal a dû tricher pour s’en sortir. Après de multiples tentatives stratégiques pour se dépêtrer du dilemme de l’œuf et de la poule, auquel font très souvent face les start-up, la société a piégé eBay afin de mieux convaincre le géant du e-commerce de proposer PayPal comme moyen de paiement. Récit d’une affaire…

 

Une start-up n’a qu’une seule envie : ne plus être une start-up, mais au contraire, une grande entreprise, établie, comptant des dizaines de milliers de salariés, des centaines de millions d’euros de chiffre d’affaires, voire des milliards… Mais avant cela, il faut trouver le moyen de grandir très vite, de passer du statut de jeune pousse, née dans un garage, dans une chambre universitaire ou lors d’un start-up challenge, à celui de « licorne » (société valorisée à plus d’un milliard de dollars).

Le problème de l’œuf et de la poule

Le problème de l’œuf et de la poule revient à poser la question suivante : qui de l’œuf ou de la poule est arrivé en premier ? Car il faut bien qu’il y ait eu un œuf pour que la poule puisse naître. Mais il a bien fallu qu’il y ait une poule pour pondre l’œuf.

Ramené au monde des start-up, ce problème se traduit par les difficultés rencontrées par les jeunes pousses pour simultanément recruter les deux populations auxquelles elles s’adressent. Exemple : un site comme Uber a eu besoin de recruter à la fois des chauffeurs et des particuliers, futurs passagers. Mais pourquoi un chauffeur ferait la démarche de rejoindre Uber si aucun particulier n’a téléchargé l’appli ni ne l’utilise ? Mais pourquoi un particulier téléchargerait et utiliserait l’appli d’Uber s’il n’y a pas de chauffeur. Autre exemple, pourquoi un freelance s’inscrirait sur une plateforme comme UpWork ou Redacteur.com si aucune entreprise n’y publie des besoins ? Et pourquoi les entreprises publieraient des offres de travail sur une plateforme qui n’a pas encore de freelance ? Autre exemple encore, pourquoi une personne créerait un compte PayPal si aucun e-commerçant n’accepte ce moyen de paiement ? Et pourquoi un e-commerçant proposerait  ce moyen de paiement si personne ne l’utilise ?

Les tâtonnements stratégiques de PayPal

C’est dans un esprit très start-up, c’est-à-dire très agile avec une philosophie du test and learn (tester et apprendre), du fail fast (tomber rapidement, autrement dit, se tromper mais s’en rendre rapidement compte pour essayer autre chose), que PayPal a tergiversé pendant des années avant de devenir le géant du paiement en ligne que nous connaissons aujourd’hui.

Pour commencer, la société s’efforça de rendre le paiement en ligne plus simple qu’il ne l’avait jamais été. Une adresse e-mail et un numéro de carte de crédit suffisaient pour ouvrir un compte et pour pouvoir payer. Mais cela ne suffit pas à rassembler la masse nécessaire d’utilisateurs pour résoudre le problème de l’œuf et de la poule. Peter Thiel, confessa, lors d’une intervention à Stanford, que la société se lança dans une campagne ambitieuse de business development, visant à conclure des accords stratégiques avec les grandes banques, mais en vain. PayPal, imagina alors un plan de parrainage, consistant à offrir 10$ à tout nouvel utilisateur parrainé, et à offrir 10$ à chaque parrain.  Cette stratégie fonctionna et permit de réunir  quelques 100 millions d’utilisateurs.

Mais PayPal réalisa qu’il ne fallait pas se contenter de cet apparent succès. La société comprit qu’il n’importait pas tant de recruter des clients (avec un coût d’acquisition client de 20$), mais de les convertir en utilisateurs actifs de la solution. Un client ayant été parrainé, mais n’utilisant pas le moyen de paiement PayPal ne générait pas de chiffre d’affaires, puisque Paypal se rémunérait avec une commission  sur les transactions réalisées. Le bénéfice des 10$ offerts pour un paiement en ligne avec PayPal, permit à la société de mettre en place un cercle vertueux, faisant découvrir aux utilisateurs la simplicité et le confort offerts par son service, les invitant à en parrainer d’autres, commençant à attirer l’attention des marchands qui, voyant cette manne d’argent ne demandant qu’à être dépensée ($20 X 100 millions d’utilisateurs = $2 milliards), commencèrent à afficher le logo PayPal dans la liste des moyens de paiement qu’ils proposaient. Un incentive financier offert aux marchands finit d’accélérer un véritable buzz. Mais cela ne suffisait pas pour gagner suffisamment d’argent, continuer à lever des fonds, durer…

La triche en guise de solution

Essoufflée, à court d’argument face à ses investisseurs, PayPal a alors une idée de génie en 2000.

PayPal repéra que beaucoup des transactions effectuées avec sa solution se faisaient sur eBay. PayPal développa alors un robot destiné à poster des enchères un peu partout sur eBay, accompagnées de messages insistant pour demander aux marchands s’ils acceptaient, ou allaient tôt ou tard accepter, les règlements via PayPal . Bon nombre de marchands, voyant leurs ventes et leurs enchères augmenter du fait de ce débarquement de clients (fictifs) affiliés à PayPal , se mirent à accepter ce nouveau moyen de paiement et par là-même, lui firent une publicité sans pareil. Le problème de l’œuf et de la poule venait d’être résolu.

Une manière de réussir bien peu recommandable, si l’on se place du point de vue de la morale. Mais les deux protagonistes, PayPal et eBay, sont sortis gagnants de cette collaboration forcée. Nul procès ni rancœurs. L’affaire fut entendue. Le pragmatisme américain a prévalu une fois de plus, mais cette fois-ci, au sein d’une nouvelle économie dans laquelle la ligne rouge se franchit,  semble-t-il, toujours plus tranquillement.