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L’innovation ne peut être une démarche solitaire

Innover n’est plus une démarche solitaire mais solidaire, collective et collaborative. C’est la conviction profonde de Jean-Pierre Bouchez, auteur du livre Innovation collaborative. Du partage entre différents acteurs, plusieurs disciplines et diverses communautés, est née l’envie de partager et d’innover. Interview.

 

 

Bonjour Jean-Pierre Bouchez, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

 

Ce livre s’inscrit dans la suite logique de l’écriture de mes ouvrages antérieurs. Ces derniers portaient notamment sur la société du savoir et ses acteurs tels les professionnels et organisations fondées sur la connaissance, puis sur les questions de gestion et de partage des connaissances dans le cadre de communautés de pratique. La logique naturelle m’a conduit dans cette perspective, à travailler sur l‘innovation collaborative. Je voulais ainsi observer et analyser, comment des acteurs impliqués dans l’écosystème d’une organisation, pouvaient, par une collaboration poussée, imaginer de nouveaux produits et services prometteurs et potentiellement disruptifs. La mobilisation de la notion d’intelligence collaborative, me parait de ce point de vue plus pertinente que la seule notion intelligence collective.

 

 

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

 

C’est finalement la première page consacrée aux remerciements. En effet, cet ouvrage, est pour partie, le fruit d’observations, d’échanges, de partages, de récits avec de multiples acteurs dont j’ai tenu à remercier personnellement les principaux. A commencer par les membres de la petite communauté professionnelle, précieuse, précisément intitulée I.Colab que j’ai le plaisir d’animer. Naturellement, ces apports ont été combinés avec de nombreuses lectures académiques, qui ont contribuées à donner une perspective originale à cet ouvrage. Son intérêt réside ainsi dans une combinaison de références acadé-miques, de partage d’expériences notamment avec cette communauté, et d’échanges avec des dirigeants et des managers lors de mes conférences et interventions. C’est la raison pour laquelle je me considère comme un travailleur hybride, au carrefour de l’académique (en tant que chercheur) et de l’opérationnel (en tant que praticien).

 

 

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

 

Deux types de démarches volontaristes, centrées sur l’innovation collaborative, qui peuvent se combiner, s’observent à cet égard, depuis une petite dizaine d’année, de la part de dirigeants éclairés de grands groupes.

 

La première entend promouvoir la culture de l’innovation ouverte et la prise de risque, en soutenant des entrepreneurs internes. Cela se traduit ainsi par un accompagnent des projets prometteurs (notamment via des concours internes et des challenges), sélection-nées par un comité décisionnaire. Outre une dotation financière, cet accompa-gnement qui s’étend sur plusieurs mois, peut inclure du coaching individuel, et la mise en place de dispositifs méthodologiques appropriés (design thinking, lean startup, etc.), visant à « faire accoucher » l’idée pour en faire une véritable offre business. Des firmes ont ainsi dans ce cadre, déployé des dispositifs d’incubation et d’accélération pour favoriser cette démarche.

 

La seconde consiste à favoriser des initiatives internes localisées, émanant soit de salariés de la base, soit du management, dans le cadre d’espaces dédiés inspirants et transformants, relativement permis-sifs, visant à créer les conditions pour stimu-ler l’innovation. C’est notamment le cas typique de la famille des fablabs autori-sant une forme de conception plus débridée, autonome et innovante par opposition à une conception classique « réglée ». La possibilité et la latitude accordée de s’exonérer pour partie du cadre formel, à travers l’octroi d’une initiative renforcée voire libérée, permettant de stimuler ainsi l’innovation par une forme de lâcher prise. L’usage des technologies numériques spécifiques (permettant notamment la réalisation de prototypage rapide), participant à cette démarche.

Il n’en reste pas moins vrai que ces démarches audacieuses et porteuses doivent toutefois faire ses preuves en termes d’efficacité (toujours difficile à évaluer et à démontrer) et vaincre les résistances bureaucratiques inhérentes au mangement à la française. C’est un des problèmes de fond que j’aborde dans mon ouvrage car il est au cœur de la transformation managériale des grandes organisations.

 

 

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet ouvrage, quel serait-il ?

 

D’intégrer le fait qu’innover ne peut être une démarche solitaire par hypothèse. C’est une démarche par nature collective et plus nécessairement collaborative. Elle est le fruit de rencontre formelles ou informelles, de partage d’expériences, de récits, d’idées souvent décalées, etc. C’est souvent sur la base d’un réseau d’échange fondé sur des proximités sociales, intellectuelles, affectives, ou liées au business que se forgent ainsi des collaborations prometteuses susceptibles de faire émerger des innovations prometteuses. Mais aussi plus généralement, des partages de connaissances et d’expériences, contri-buant à des enrichissements collaboratifs. Donc mon conseil, de ce point de vue, est d’être à l’affut de ces réseaux d’affinités et de confiance pour enrichir son capital social et cognitif en bénéficiant ainsi des apports et contributions des uns et des autres.

 

 

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

 

Mes prochains sujets peuvent se résumer sous la forme d’un slogan : « la confiance rapporte plus que le contrôle ». En creusant et investiguant les termes de ce slogan, on prolonge ainsi la question n° 3 sur la transformation managériale et culturelle des grandes organisations. Ce sujet me parait primordial et capital pour les années qui viennent. Il est au cœur d’un affrontement culturel et managérial entre les entreprises « réglées » et celles plus audacieuses qui sauront « lâcher prise » en générant de la confiance, facilitant ainsi des prises de risques calculées, propices à l’innovation et à la collaboration sous toutes ses formes.

 

Merci Jean-Pierre Bouchez

 

Merci Bertrand

 

Le livre : Innovation collaborative – La dynamique d’un nouvel écosystème prometteur, Jean-Pierre Bouchez, De Boeck Sup, 2020.