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Enquête sur les vrais et les faux espoirs de l’innovation

L’innovation est devenu la réponse affichée par nos entreprises à presque tous les défis, toutes les interrogations, toutes les peurs auxquelles elles font face. Derrière ce grand espoir se cachent beaucoup d’a priori, de nouvelles notions, de méthodes, d’éléments de langage, d’expériences très diverses. Une enquête réalisée au cœur des entreprises ayant engagé une démarche raisonnée et efficace de l’innovation, a été menée par Marie Cécile Rochet, qui nous en révèle les résultats dans un livre : Open innovation : pourquoi, comment ? Interview.

 

1. Bonjour Marie Cécile Rochet, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

J’ai eu envie d’écrire ce livre car je crois que les entreprises vivent un « momentum » intéressant dans leur rapport à leur environnement direct. La démarche d' »open innovation » traduit une mutation vers davantage d’interactions positives avec les parties prenantes de l’entreprise que sont les fournisseurs, les partenaires… et même parfois les concurrents ! Le concept d’innovation ouverte vient de l’université californienne de Berkley au début des années 2000, mais sa pratique généralisée est plus récente. S’ouvrir, partager (de l’info, des savoir-faire, des bonnes pratiques), visiter d’autres entreprises, raconter ses essais (et erreurs) sont des comportement particulièrement répandus dans l’ecosystème de l’innovation. J’ai eu envie d’écrire ce livre car j’ai été touchée par l’état d’esprit de beaucoup de mes homologues, responsables de l’innovation : humilité, absence de certitudes, courage, engagement et persévérance et bien sûr, ouverture d’esprit et curiosité. J’ai interviewé 25 acteurs de l’innovation. Tous m’ont accueillie de bonne grâce, malgré leurs emplois du temps bien chargés, et dans un vrai esprit de partage.

 

 

2. Une page de votre livre ou un passage qui vous représente le mieux ?

Le dernier paragraphe ! L’innovation est une démarche grisante, stratégique et très difficile quand on veut en faire autre chose qu’un gadget managérial. Je cite Alvin Toffler qui disait : « Les illettrés du futur ne seront pas ceux qui ne savent ni lire ni écrire, mais ceux qui ne sauront pas apprendre, désapprendre, réapprendre. » Au regard de mon expérience personnelle et de cette enquête sur l’open innovation en entreprise, je conclus en disant qu' »il faut avoir du courage pour désapprendre, pour accepter les erreurs, pour manier l’incertain. L’entreprise de demain sera courageuse, optimiste, humaine et ouverte. » C’est plutôt un espoir qu’une prédiction. Mais je crois que les challenges technologiques, l’accélération des cycles de développement, vont questionner toujours plus l’entreprise sur le sens de sa contribution. Et il lui faudra du courage pour y répondre !

 

3. Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

L’autre terme pour « innovation ouverte » est « innovation distribuée ». Je pense que cette logique « distributive » est profondément moderne et échappe aux logiques organisationnelles que nous connaissons depuis des siècles (hiérarchie ou castes par exemple). Si nous avons autant de mal à comprendre le principe de la blockchain, c’est parce qu’un principe d’organisation basé sur une validation exercée par les entités non centralisées nous est peu familier. Je crois pourtant que les ingrédients (plateformes digitales, crowd power) sont en place pour que les modèles « distribués » émergent : intelligence distribuée, pouvoir distribué, économie distribuée… Il va y avoir du tangage.

 

4. Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

Je me garderai bien de donner des conseils. Néanmoins, j’ai observé durant mon enquête, que malgré (ou à cause de) l’infobésité actuelle, les entreprises ont bien du mal à construire une veille pertinente. Alors j’ai juste envie d’insister sur l’importance de regarder dehors, de se familiariser avec la notion de signal faible, d’utiliser une formule du design thinking qui dit « what if ? ». Se préparer à l’imprévisible, ce n’est pas le prévoir (c’est impossible), mais s’entraîner à saisir une micro-opportunité là où d’autres ne verront qu’un épiphénomène.

 

5. En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionnent ?

Je suis particulièrement intéressée par l’innovation pédagogique. Je pense en effet que pour « fabriquer » (excusez-moi pour ce terme industriel) des adultes adaptés aux défis du XXIème siècle, il faudra faire un peu mieux que reproduire le modèle éducatif du XIXème siècle ! Là où la pédagogie constitue un modèle descendant dans lequel un enseignant délivre un contenu à des étudiants, là où dans l’andragogie l’enseignant donne une tâche à une équipe, l’heutagogie est fondée sur le groupe, qui définit le problème à résoudre, le gère, et s’en remet à deux évaluations : celle des pairs (au sein de l’équipe) et celle du client du projet. Quelques modèles innovants existent (comme le modèle finlandais de Team Academy). Ils rencontrent (même en Finlande) la forte résistance d’un corps enseignant qui a toujours été valorisé par la délivrance de son savoir. Mais je crois que les initiatives vont se multiplier, vont devoir prouver leurs bénéfices (faire leur « proof of concept ») et seront graduellement adoptées, y compris par les enseignants d’ailleurs. Une forme d’éducation « distribuée » ?

 

 

Merci beaucoup, Marie Cécile Rochet

 

Merci Bertrand

 

Propos recueillis par Bertrand Jouvenot | Conseiller | Auteur | Speaker | Enseignant | Blogueur

 

Le livre : Open innovation : pourquoi, comment ?, Marie Cécile Rochet, Maxima, 2019.