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Pourquoi votre prochain patron sera chinois

Rien ne semble pouvoir arrêter l’irrémédiable ascension de la Chine vers un rôle de futur leader du monde. Huawei, Neo, Haier, SenseTime, WeChat… l’Empire du milieu inonde déjà la planète de ses fleurons industriels et aborde le numérique, l’intelligence artificielle, l’électrique ou le développement durable armé de moyens considérables. Mais il n’est pas trop tard pour retourner la situation à notre avantage, affirment les auteurs du livre Pourquoi votre patron sera chinois, à condition de faire vite.

 

 

Bonjour Denis Jacquet, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

 

Le timing ne pouvait être meilleur et nous avons vu que la 5G allait fournir une occasion de mettre en évidence la lutte pour la domination sur la data et l’internet du futur, notamment et surtout entre les USA et la Chine. Nous avions également une grande inquiétude et un étonnement incroyable sur l’absence de compréhension de l’occident et particulièrement de la France, sur la montée en force et en puissance de la Chine, dans le monde et encore plus spécifiquement en Afrique. La Chine y creuse son sillon, d’une façon à la fois impressionnante et inquiétante, du fait de la façon dont elle se déroule, sous nos yeux, dans des pays où nous avions une présence forte. Cela, dans une indifférence assez consternante de la part de nos gouvernements ou autorités françaises et européennes. J’ai un tropisme important et une passion pour l’Afrique, je pense que ce continent est la seule chance que nous ayons, nous, Européens, de retrouver le chemin de la croissance. Par ailleurs, les valeurs Européennes, constituent la meilleure chance de l’Afrique de donner plus de sens à sa croissance potentielle, assise sur un meilleur partage de la valeur. Enfin! La Chine pourrait ruiner cet espoir pour les 2 parties, au détriment des populations. Car la Chine cherche à consolider sa capacité à commercer avec le monde, accéder aux ressources et en aucun cas (en tous cas pas comme objectif premier) d’enrichir les pays cibles.

 

Nous voulions également expliquer ce qui se passait en Chine au niveau technologique, à un moment où chacun se gargarisait des prouesses technologiques américaines (à raison), ou du fait que la France serait la terre bénie des start-up (ce qui n’apporte pas grande chose à notre pays qui ne sait pas les transformer en géants mondiaux), pendant que la Chine rattrapait les USA, voire les dépassait, sur les pratiques digitales et l’investissement sur l’intelligence artificielle. Ne pas voir qu’en matière technologique, le monde (re) devenait bipolaire, nous semblait devoir être comblé, et notre livre a voulu combler ce vide. Sans jugement. Ou plutôt, avec un jugement équilibré. Les commentateurs adorent diaboliser la Chine sous prétexte que ce ne serait pas une démocratie, au risque de ne pas se doter des outils pour coopérer, lutter, discuter avec ce qui sera la plus grande puissance technologique mondiale en moins de 10 ans. C’est une bien courte vue et une pauvre stratégie. Nous voulions donc rééquilibrer la vision et atténuer la tentation facile de jugement, pour nous concentrer sur l’explication et la compréhension du contexte.

 

 

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

Je dirais plutôt que c’est la structure du livre qui est originale. Le fait d’expliquer le futur et la stratégie de la Chine par l’analyse de son passé. Un retour en arrière pour comprendre sa marche en avant. Faute de comprendre la culture de votre adversaire ou compétiteur, on risque toujours de rater l’occasion de pouvoir s’y préparer, lutter certes, mais coopérer aussi. Ce livre a le mérite de bien expliquer d’où vient la Chine, son passé de commercant ruiné par l’occident au 15ème siècle, l’humiliation subie et la méfiance de l’étranger qui en est issue. De comprendre qu’elle préfère le jeu de GO au jeu d’échec, le commerce à la guerre. Le fait que la Chine travaille, dur, pour la Chine, pas pour les autres. Le fait que la Chine a un régime autoritaire certes, mais par certains côtés, plus libéral et inclusif, que nombre de nos démocraties. Ensuite, le second mérite du livre est de dépasser le constat pour aller vers les solutions. Le fait que mon co-auteur et moi soyons entrepreneurs explique cela. Nous sommes des passionnés d’action et de solution, un problème ne nous intéresse que pour être surpassé. La contemplation du vide n’est pas trop notre truc! Dès lors, les solutions que nous proposons, sur l’association à l’Afrique, sur la nécessité de réveiller l’Europe avant qu’il ne soit trop tard, et de questionner nos démocraties pour les réinventer, les rendre plus inclusives et plus efficaces, sont autant de pistes qui elles aussi, ont été ignorées trop longtemps.

 

 

Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

Le monde vieillit, est endetté, génère de plus en plus d’écart de richesse, fait disparaître la classe moyenne qui en est pourtant la colonne vertébrale. Cela ne laisse que peu de choix aux technologies que de trouver des moyens de retrouver de la productivité, y compris au détriment de l’emploi. Ce qui ajoute de l’angoisse à l’angoisse. Face à ce monde global et anxiogène, le citoyen « de base » perd confiance dans les gouvernements et organisations qui leur semblent devenu des ennemis, à la fois de leur identité et de leur intérêt personnel. Il prend alors de parti du repli, celui qui gagne le plus de terrain dans le monde. Du populisme, qui lui promet d’être le centre de l’attention pour redevenir « great again ». L’arrivée de technologies, que les hommes et femmes du monde, considèrent spontanément, dans tous les sondages, comme une source d’inquiétude et de précarité supplémentaire, pousse encore plus au repli. Dès lors les intérêts des entreprises et des Etats (croissance et productivité) se heurtent désormais de plein fouet à l’intérêt perçu des peuples. Cela peut aller jusqu’à un levée violente de boucliers, voire pire, en cas de crise mondiale majeure. Or celle ci, guette, nous le savons tous, raison pour laquelle les gouvernements du monde entier injecte de l’argent et maintiennent des taux bas. Mais cette apné ne pourra durer éternellement. Dès lors, à court terme, l’avantage sera aux pays et entreprises, qui pourront mettre en place des outils de productivité et de croissance, ce qui est le cas de tout ce que l’IA va permettre de faire. La Chine part en tête sur ce sujet, car au delà de la rapidité de son action, la puissance de ses investissements (et leur pertinence), ils ont une force énorme face aux pays individualistes que nous sommes devenus (pour ne pas dire égoïste): l’individu a moins d’importance que le collectif. On peut le déplorer, le critiquer, certes, mais à l’heure que nous vivons, ils sont mieux équipés pour survivre. Les riches Chinois d’aujourd’hui ont perdu au moins un ascendant, il y a 2 générations seulement, dans les famines provoquées par la politique de Mao. Ils ne l’ont pas oublié. Ils sont encore armé pour lutter contre l’adversité, alors que nous sommes tellement surprotégés, que nous serons victime de notre confort et incapacité à assumer l’adversité. Le Chinois ne peut tomber malade même sans chauffage, le français attrape un rhume au premier courant d’air. Nous n’allons pas nous lamenter d’avoir cherché le bonheur des hommes. Mais il est temps de nous équiper pour résister au froid, sinon, nous serons dominés. Même si les dégâts potentiels causés par les technologies en cours de déploiement, feront à terme, des victimes aussi en Chine, avec un retour de bâton important. Mais eux auront du coup, en vainqueur de la nouvelle économie, les moyens d’amortir la chute. Pas nous. Ce sont des tendances que peu de nos gouvernants analysent et souhaitent, surtout, aborder.

 

 

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

Se poser la question de l’impact des technologies sur son job à moins de 10 ans. Pour ses enfants. A 10 ans. Et de penser que cela le concerne, où qu’il soit et quoi qu’il fasse. C’est une affaire de temps, mais pas de long terme. De court terme. Si nous ne servions qu’à cette prise de conscience et à cet impact, nous serions très heureux. Etre utile reste l’objectif d’un auteur. Si c’était l’argent la motivation, nous aurions utilisé notre temps libre à autre chose 🙂

 

En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

La volonté des acteurs californiens et chinois, de dépasser nos frontières, physiques et humaines d’une part, géographiques, d’autre part. Vouloir vivre plus longtemps, voire immortel. Augmenter l’homme. Préparer sa vie sur Mars ou dans l’espace. Ce sont des sujets qui font basculer l’humanité dans une autre ère, sous l’impulsion d’un nombre d’hommes et de sociétés dans le monde, qui en prennent la responsabilité et le leadership, alors que c’est un sujet de société qui devrait être pris en charge par la collectivté et nos démocraties. Ce n’est pas le cas. C’est un sujet majeur. De la matière pour un 3ème livre!!!

 

Merci beaucoup, Denis Jacquet.

 

Propos recueillis par Bertrand Jouvenot


Le livre : Pourquoi votre patron sera chinois, Denis Jacquet, Homéric de Sarthe, Editions Eyrolles, 2019.