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Lire ou relire Machiavel au bureau

Aborder le monde des affaires en faisant l’impasse sur les jeux politiques qui agite le monde du travail, serait imprudent. Un point de vue que l’auteur du Prince de Machiavel à l’usage de mon patron défend avec diplomatie, érudition et pragmatisme. Écoutons donc ce petit prince de la politique.

 

 

1. Bonjour Hatim Ben Ahmed, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

Comme beaucoup de choses dans la vie, totalement par hasard !

Plus sérieusement, je vais répondre à cette question en plongeant directement dans la pensée de Machiavel. Ce dernier insiste en effet tout au long de son livre sur la nécessité de l’existence d’un couple travail/opportunité pour qu’un projet, quel qu’il soit, puisse aboutir. Il le dit d’ailleurs clairement, de son style unique, dans le sixième chapitre de son livre : « Sans cette occasion, les vertus de l’esprit se seraient éteintes ; et sans ces vertus, c’est en vain que serait venue l’occasion. »

Pour ce qui est de mon livre, l’opportunité fût de retomber sur Le Prince de Machiavel dans ma bibliothèque où il reposait depuis sûrement vingt ans. Cette deuxième lecture m’a littéralement stupéfaite, de part la justesse des analyses de Machiavel sur le plan politique mais également sur la transposition possible au monde de l’entreprise.

Cela, bien évidemment, je n’aurais pu le voir sans mes années d’expériences professionnelles et notamment au sein de nombreux conseils d’administration où j’ai pu voir les problématiques des entreprises dans leurs ensembles.

Ce livre a donc été écrit maintenant car je n’aurais pu le faire avant !

J’ai aussi décidé de le faire car j’ai pu voir autour de moi de nombreux entrepreneurs et dirigeants de PME se poser beaucoup de questions sur les thèmes de l’innovation, le développement international, les croissances externes, les restructurations et bien d’autres sujets ; j’ai trouvé intéressant de donner quelques réponses à ces questions avec cet angle particulier qu’est Machiavel. Un angle d’autant plus intéressant que c’est un personnage pour le moins controversé ! Cinq siècles sont passés depuis l’écriture du Prince et Machiavel est devenu un nom commun synonyme d’absence de morale…. Or, ce n’est pas du tout l’esprit de son livre, loin s’en faut ! D’ailleurs, des philosophes comme Spinoza ou Rousseau, que l’on ne peut pas taxer d’immoraux, ont eu des commentaires très élogieux sur cet œuvre.
J’ai donc voulu aussi, à ma modeste échelle, essayer de réhabiliter Machiavel en explicitant sa pensée à chaque chapitre.

 

2. Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

Puisque je dois absolument choisir, je pense d’abord aux chapitres vingt-deux et vingt-trois de mon livre (qui suit la même organisation que le Prince) qui s’intitulent « Des ministres des princes » et « Comment il faut fuir les flatteurs ». Dans ces chapitres où Machiavel rappelle que « la première conjecture que l’on fait du cerveau d’un maître est de voir les hommes autour de lui », j’explicite l’analogie avec la manière de composer une équipe de management et j’insiste sur la nécessité de créer de la diversité, de genre, ethnique et de parcours académique. C’est ce que j’ai toujours essayé de faire autour de moi et j’ai vu à quel point c’était important pour le succès d’une équipe. Enfin, comme Machiavel, je pense nécessaire de fuir les flatteurs qui finissent toujours d’ailleurs par être les moins loyaux.

 

3. Les tendances qui émergent à peine et auxquelles vous croyez le plus ?

Je vais me focaliser sur le monde de l’entreprise et je dirais qu’il y a plusieurs tendances qui émergent, conséquence à mon avis de la montée des millenials dans le management des entreprises
La première est la recherche de sens dans ce que fait l’entreprise, ce que les américains appellent un « purpose ». C’est devenu primordial pour l’adhésion des employés au projet de l’entreprise et c’est aussi en fait très important pour l’entreprise car cela lui permet de se concentrer sur une stratégie à long terme, en ligne avec ses valeurs.
La seconde, à laquelle je crois beaucoup, est la théorie « Les employés d’abord ; les clients ensuite » que j’explique dans mon livre. En effet, dans la société de services dans laquelle nous sommes, ce sont les employés qui délivrent l’essentiel de la valeur ajoutée au client. Ainsi, il est primordial de remettre l’employé au cœur de l’entreprise.

 

4. Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

Tout au long de mon livre, je donne des dizaines de conseils sur la gestion d’entreprise mais si je devais n’en retenir qu’un seul, ce serait l’importance de l’impétuosité. Machiavel nous dit qu’en toute occasion, mieux vaut être impétueux que circonspect car l’on peut ainsi « tordre le bras » à la fortune (au sein de la chance).
Lorsque l’on porte un projet, quel qu’il soit, il faut agir et avancer. Mieux vaut une mauvaise décision que pas de décision du tout ! Dans un monde où l’innovation est permanente et rapide, la circonspection et l’immobilisme peuvent tuer une entreprise.

 

5. En un mot, quels sont les prochains sujets qui vous passionneront ?

Je suis en train de m’intéresser particulièrement au sujet de la monnaie et de son histoire. En effet, il me semble que l’émergence des crypto-monnaies, et notamment de ce que souhaite faire Facebook avec son Libra, pousse à essayer de mieux comprendre l’origine de la monnaie, son rôle dans nos économies et celui des banques centrales. Je trouve le sujet passionnant.

 

Merci beaucoup, Hatim Ben Ahmed

 

Le livre : Le prince de machiavel à l’usage de mon patron, Hatim Ben Ahmed, Editions Maxima, 2019.

 

Propos recueillis par Bertrand Jouvenot