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La stratégie d’entreprise se fait uberiser à son tour

Le monde change si vite que la stratégie d’entreprise peine à suivre. Hier, bien confortablement installée dans le fauteuil académique de Michael Porter, la stratégie d’entreprise a volé en éclats sous l’influence des GAFA. Ces derniers ont proposé un nouveau canevas stratégique qui, à peine dessiné, s’apprête à être déchiré à son tour en mille morceaux par Uber. Bienvenue dans la course au décryptage stratégique. Mais surtout, attachez vos ceintures.

Issue de l’art de la guerre, la stratégie d’entreprise s’est cristallisée dans le prestigieux cénacle de l’université de Harvard, sous la coupe de Michael Porter. Étudié, adulé, enseigné, ce dernier a échafaudé les bases de sa réflexion dans un monde et à une époque, assez proches de nous, mais qui ont littéralement changé à cause des nouvelles technologies, notamment.

La matrice stratégique de Porter sentirait la poussière ?

La Matrice de Michael Porter

Autrefois, il n’y a pas si longtemps pourtant, il y eu tout d’abord Monsieur P…, ou Monsieur Michael Porter, pour ne pas le nommer. Grand chantre de la stratégie, ses travaux le conduisirent à constater qu’une entreprise a toujours à choisir entre trois stratégies possibles :

  • La domination par les coûts : elle consiste à maintenir des prix bas pour être moins chers que la concurrence. Exemples : Walmart, Kiabi, Leclerc.

 

  • La différenciation : elle consiste à proposer une offre ayant des caractéristiques différentes de celles de la concurrence. Elle peut prendre deux orientations : la différenciation vers le haut ou sophistication, qui consiste à proposer une offre plus élaborée que l’offre de référence, mais à la vendre à un prix plus élevé. Exemples : BMW ou Häagen-Dazs. Et la différenciation vers le bas ou épuration, qui consiste au contraire à proposer une offre moins élaborée que l’offre de référence, mais à la vendre à un prix moins élevé. Exemples : Bic, Ikea, BlackBerry ou Ryanair.

 

  • La concentration ou stratégie de niche qui consiste à centrer l’essentiel de ses efforts sur un segment de marché. Exemple : Baobaz, Luxury Society, Pinterest, FrenchWeb…

Puis, il y eut Madame R… ou Madame la Réalité pour ne pas la citer qui se rappelle toujours à notre bon souvenir quand nous nous avisons de l’oublier. Elle nous signala que deux autres stratégies tendaient à se répandre :

  • L’exécution opérationnelle : elle consiste à faire la même chose que ses concurrents mais mieux. Exemples : Zara, Office Depot …

 

  • L’innovation : elle consiste tout simplement à innover. Sony, Apple, Google, Twitter, Uber, Netflix…

Le nouveau canevas stratégique des GAFA

Google, Apple, Facebook, Amazon rebattent les cartes de la stratégie d’entreprise

Les acteurs de la nouvelle économie s’orientent quant à eux à l’aide d’une nouvelle carte stratégique dont la boussole pointe constamment en direction de l’innovation. L’innovation est alors entendue comme l’une des conditions de survie de l’entreprise. Par conséquent, jamais l’innovation n’a autant préoccupé qu’aujourd’hui, sans qu’il y ait pour autant one best way pour mettre une entreprise sur la voie qui la rendra possible.
La preuve, en l’espace d’une quinzaine d’années, cinq familles de stratégies d’innovation des plus diverses, à l’initiative d’entreprises appartenant à des secteurs d’activités différents et dotées de culture d’entreprises que tout oppose, ont émergé :

  • L’investigation : une stratégie consistant à investir massivement en rechercher et développement, sans nécessairement connaître en amont les produits, les services ou les nouveaux usages que les nouvelles technologies permettront de créer dans les prochaines décennies. IBM suit cette voie avec succès, semblant capable de remplacer d’anciennes activités par de nouvelles, au fil du temps. Son intelligence artificielle baptisée Watson en est la meilleure illustration.

 

  • La focalisation : une approche de l’innovation consistant à délibérément limiter le nombre de produits vendus en se focalisant avec obsession sur un attribut du produit particulièrement différenciant. Apple représente parfaitement cette stratégie d’innovation, ne lançant finalement qu’assez peu de nouveaux produits au regard du dynamisme et de l’intensité concurrentielle de son secteur, mais offrant une expérience utilisateur unique. La succession de l’iMac, l’iPod, l’iPhone, l’iPad, avec iTunes en trame de fond, ramène le temps moyen de lancement d’un nouveau produit par Apple à près de trois ans.

 

  • L’open innovation : une option stratégique dans laquelle l’entreprise noue des partenariats avec des sources d’innovations externes à l’entreprise, comme InnoCentive, afin de lancer des produits imaginés hors des murs de son traditionnel département de R&D, qui connaissent de véritables succès. Procter & Gamble, General Electric, GlaxoSmithKline, Allstate ou Elli Lilly ont opté pour cette stratégie.

 

  • L’expérimentation : une stratégie retenue par Google dans laquelle l’entreprise multiplie le nombre des expérimentations en tous genres, sachant que peu d’entre elles aboutiront. Les initiatives de l’entreprise de Mountain View réunies sous le label Google X telles que Google Glass, les voitures autonomes, Google Loon, les lentilles connectées, le projet Wing, Makani Power, un bracelet luttant contre le cancer, Google ATAP, le projets Tango, Jacquiadi, Vault, Soli… en témoignent.

 

  • La polarisation : une voie consistant à partir d’un usage hyper-spécifique et d’enrichir peu à peu une fonctionnalité centrale avec des innovations complémentaires, de nature à conférer encore plus de valeur à la première. LinkedIn, Snapchat, WeTransfer, DropBox, PayPal ou Skype ont adopté cette stratégie.

Les coups de volants stratégiques d’Uber

Uber explore encore sa stratégie à venir

L’uberisation ne se contente pas de déstabiliser des secteurs économiques entiers mais s’attaque aussi à la stratégie d’entreprise. Et l’exemple d’Uber, pour le démontrer, ne pouvait pas mieux tomber.

Dans un monde qui change tellement vite (à coups d’intelligence artificielle, d’impression 3D, d’holacracy, d’algorithmes, de big data, de réalité virtuelle, d’e-santé, de remote…) la société Uber est face à de nouvelles options stratégiques qui ne rentrent plus dans le carcan des matrices et des canevas qui précèdent.

 

Première option, la capillarisation : Uber est bien plus qu’un service de transport en voitures de particuliers. En réalité, les compagnies de taxis sont à Uber ce que les livres étaient à Amazon.com : un produit simple et idéal pour démarrer un nouveau business avant de lancer d’autres lignes de produits sur le même modèle. La véritable force d’Uber est certes sa flotte, non plus de voitures, mais de 2 millions de chauffeurs. Et dans le même esprit, la société a déjà lancé de nouveaux services incroyables tels UberCopter (disponibles à Cannes) qui permet de prendre un hélicoptère, Uber X ou Uber Black.

Deuxième option, la bataille du dernier kilomètre logistique contre Amazon.com : En parallèle, la société a testé UberFRESH en Californie, un service de livraison de produits alimentaires, UberRush à Manhattan, un service de coursiers express, UberEssentials, un service de livraison de courses basiques. Bref, Uber s’est engagée dans la bataille pour le dernier kilomètre logistique contre Amazon. Là où la société de Jeff Bezos envisage de livrer les particuliers au moyen de drones, Uber imagine déjà permettre à tout un chacun de livrer des colis commandés via des sites e-commerce d’un point A à un point B. Dit autrement, bientôt vos enfants récupéreront, non loin de leurs collèges ou lycées, des colis qu’ils déposeront en trottinettes, skates ou Velib’ à des particuliers se situant sur le chemin de leurs écoles. Le tout sous l’œil ébahi de FedEx, UPS et Chronopost.

Troisième option, l’auto-disruption : une stratégie pour Uber qui reviendrait à remplacer les actuels véhicules conduits par ses chauffeurs, par des voitures autonomes et sans conducteurs.

 

Puisque que tout va désormais plus vite, les erreurs seront plus douloureuses et les accidents stratégiques plus violents encore. Les risques de sorties de routes, de dérapages non contrôlés et d’aquaplaning stratégiques augmenteront dans cette course de vitesse où l’adaptation permanente est devenue indispensable. Pour l’heure, Michael Porter a fait prendre un virage à ses recherches en se focalisant sur le système de santé américain. Faut-il croire que le père de la stratégie d’entreprises anticipe les accidents ?