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Elise Thiébaut, brise la glace du Really Mirror

Lequel de vos articles préférez-vous ?

 

Elise Thiébaut : Mon premier, plus ou moins. J’avais 20 ans, au début des années 1980, la ville de Blanc-Mesnil m’avait commandé des articles pour le journal de la ville, et le premier était le portrait d’une centenaire qui s’appelait Camille. J’ai été happée par cette personnalité, une dame qui vivait encore chez elle, si je me souviens bien, et qui avait perdu son mari durant la Première Guerre Mondiale, alors qu’elle était enceinte… Elle habitait un rez-de-chaussée… place du 11 novembre 1918 justement. Elle avait la passion de la télévision, en particulier Michel Drucker, qui sévissait déjà le dimanche. Je me souviens de deux choses. La première, c’est qu’elle avait mal dans tout le corps, à cause de l’arthrose, et pour la soulager l’aide-soignante la passait chaque matin au sèche-cheveux pour réchauffer ses articulations. La seconde, c’est que tous les gens qu’elle aimait étaient morts, y compris ses enfants. J’ai fait plusieurs portraits de centenaires, dont un homme qui prétendait avoir connu Lamartine, ce qui était impossible, mais c’était poétique… Ensuite, j’ai décidé d’en faire une enquête pour le magazine mutualiste Viva sur le très grand âge et les enjeux sociaux, éthiques, anthropologiques que cela représentait. Autant que l’on sache, c’est la première fois dans l’histoire de l’humanité que la longévité permet à plusieurs générations de vivre en même temps. Il y avait à l’époque 1500 centenaires en France, on en compte aujourd’hui 21000… et 320 000 dans le monde. J’ai l’impression que ce premier article me poursuit encore, j’ai toujours envie d’écrire sur ce sujet encore trop peu pensé du vieillissement. L’épidémie de coronavirus a montré encore une fois qu’en France, il y avait eu beaucoup de maltraitance institutionnelle envers les personnes très âgées et dépendantes, car ce sont souvent des entreprises privées âpres au gain qui gèrent la plupart des EHPAD… Il y a eu également des consignes de ne pas prendre en charge les personnes âgées porteuses du Covid-19 dans les hôpitaux, sans alternative ni soutien pour les établissements.

Lequel de vos articles a eu le plus de retentissement ?

 

Elise Thiébaut : J’ai surtout travaillé dans des médias locaux, localiers, municipaux et à ce titre, considérés comme non journalistiques. Par conséquent, mes articles étaient peu susceptibles de connaître un retentissement important. J’ai cependant fait plusieurs articles sur les violences sexuelles et sexistes pour des médias féministes associatifs comme Femmes solidaires qui ont contribué à faire connaître ces enjeux alors peu traités dans la presse généraliste. On considérait que les violences, le harcèlement, les discriminations systémiques, l’excision ou le viol étaient anecdotiques. Si l’on parle de retentissement plus personnel, je crois que ce sont plutôt les chroniques et billets que j’ai publiés ces dernières années sur mon blog de Médiapart qui ont retenu l’attention – en particulier au début de l’année 2020 un billet où je parlais de Gabriel Matzneff, et, plus tôt, une série d’articles sur la mort de ma mère, dont j’avais voulu en 2018 raconter les derniers moments dans un système hospitalier déjà à bout de souffle. En lien avec mon livre « Mes ancêtres les Gauloises », j’ai aussi ouvert plusieurs éditions pour accueillir les histoires familiales autour des questions qu’on dédaigne pour des raisons idéologiques : la place des femmes dans l’Histoire, les guerres, ou encore les traumas liés à l’esclavage et à la colonisation, qui ont pourtant façonné la France.

 

Qu’aimeriez-vous voir se produire dans l’actualité pour pouvoir écrire l’article de votre vie ?

 

Elise Thiébaut : Comme Eric Le Braz, j’ai longtemps rêvé de couvrir la rencontre avec des extraterrestres. Quand la science nous permettra de voyager dans le temps, j’aimerais aussi partir en reportage à la préhistoire pour raconter la dernière cérémonie sacrée dans la grotte Cosquer, près de Marseille, avant que la montée des eaux noie ce lieu de culte auquel on ne peut aujourd’hui accéder qu’à la nage. J’aurais voulu couvrir l’arrivée du premier pentécontère grec dans la baie de Marseille, dont je suis originaire, mais par-dessus tout je voudrais interviewer une des Amazones qui avaient choisi de rejoindre l’armée romaine pour coloniser la Grande-Bretagne, et dont le squelette a été retrouvé dans un parking près du mur d’Hadrien. Je paierais cher pour assister à l’édification de Stonehenge ou des pyramides. Mais je rêve surtout d’interviewer une lionne. Je suis sûre que les animaux en général auraient beaucoup à nous apprendre.

 

Merci Elise Thiébaut

 

Merci Bertrand

 

Propos recueillis par Bertrand Jouvenot

 


La rubrique The Really Mirror du blog de Bertrand Jouvenot réunit des interviews de journalistes destinées à leur donner l’occasion de révéler un peu plus qui se cache derrière leurs plumes.