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Comment surmonter les résistances au changement

Les opinions sont comme les clous. Plus on tape dessus, plus elles s’enfoncent. Mais comment faire alors, pour rallier les autres à sa cause ? Une question qu’Yves Bernheim et Laurent Storch ont étudiée en profondeur dans leur livre Pourquoi les imbéciles ne changent pas d’avis, pour mieux nous aider à y répondre.

 

 

Bonjour Yves Bernheim, pourquoi avoir écrit ce livre… maintenant ?

Parce que nous vivons une incroyable période de changements. Or, pour profiter pleinement des changements, il faut être capable de les comprendre et de s’y adapter rapidement donc de modifier ses opinions avant qu’il ne soit trop tard… Jusqu’en 2005, beaucoup de gens ne croyaient pas au succès « d’internet ». Demandez aux dirigeants de Kodak qui ne croyaient pas au succès de la photo numérique et restaient persuadés que le public voudrait éternellement voir ses photos sur du papier. Ils ont disparu !

 

Une page de votre livre, ou un passage, qui vous représente le mieux ?

Voici l’approche pour faire changer d’avis quelqu’un : ne jamais être « frontal » car c’est inefficace et contre-productif. Pour faire changer quelqu’un d’avis, il faut s’intéresser à la personne, comprendre son processus de pensée et les raisons pour lesquelles elle pense ce qu’elle pense. L’objectif n’est pas de contrer son opinion à coups d’arguments mais de comprendre le raisonnement qui l’a conduite à adopter cette opinion. Tout le contraire d’un débat politique ! Il faut partir de l’opinion de l’autre, l’accepter alors qu’elle est contraire à la vôtre, et trouver les éléments qui la feront bouger. Le secret est d’argumenter sur les éléments du raisonnement conduisant à l’opinion et non sur l’opinion finale.

Les tactiques employées par Henry Fonda dans le film « Douze hommes en colère » offrent un répertoire de ces techniques. Henry Fonda entre dans le jeu de chaque interlocuteur, en l’occurrence les onze autres jurés, et infléchit chaque raisonnement « de l’intérieur ». C’est la bonne approche car comme disait déjà Pascal « on se persuade mieux
par les raisons qu’on a soi-même trouvées que par celles qui sont venues dans l’esprit des autres.» Il fait douter son interlocuteur ou le pousse dans ses retranchements sans jamais attaquer frontalement ses convictions. Un chef-d’œuvre dans l’art de la persuasion !

 

Pensez-vous que vos lecteurs seront moins « imbéciles » après avoir lu ce livre ?

D’abord, s’ils achètent notre livre, c’est que ce ne sont pas des imbéciles…
Comme nous l’écrivons, les personnes « intelligentes » sont tout aussi attachées à leurs croyances et à leurs opinions que les autres. Notre livre aidera nos lecteurs car il dévoile les mécanismes inconscients et méconnus de notre pensée comme l’existence des deux modes de fonctionnement de notre cerveau révélés par le prix Nobel Daniel Kahneman : un « système 1 » rapide, automatique et intuitif, et un « système 2 », plus lent, qui intervient dans la résolution des problèmes complexes. Cette prise de conscience permet de mieux se comprendre soi-même et de réagir avec plus de circonspection aux « infox », aux manipulations et aux tentatives d’escroquerie. La connaissance et la compréhension de ces mécanismes agissent comme un vaccin qui immunise contre leur toxicité.

 

Si vous deviez donner un seul conseil à un lecteur de cet article, quel serait-il ?

Ne pas se laisser enfermer dans la prison de verre de ses opinions et de ses croyances. Comme pour entretenir sa forme physique, ce sont les gestes du quotidien qui entretiennent l’esprit critique. Il faut régulièrement essayer de comprendre les opinions contraires aux vôtres. Le plus facile est de lire ou d’écouter régulièrement les arguments de l’autre partie via les medias, presse, TV, radio, les livres et les conférences. Cela demande un effort psychologique car il est désagréable d’entendre les opinions contraires aux nôtres mais c’est essentiel. Au-delà de l’antipathie, du dégout ou du mépris, il faut se demander pourquoi une personne pense ce qu’elle pense et que penseriez-vous si vous étiez à sa place ?

Un cas extrême d’effort de compréhension fut celui d’Hannah Arendt, philosophe juive d’origine allemande, qui essaya de comprendre les « motivations « du criminel de guerre nazi Adolf Eichmann, responsable de la logistique de la « solution finale », lors de son procès tenu en Israël en 1961 et 1962. Elle alla si loin dans cette compréhension qu’elle dut se justifier pour juguler l’immense controverse qu’elle souleva: « j’ai essayé d’écouter et de comprendre ; ce n’est pas la même chose que pardonner ».

 

Pourquoi le progrès des connaissances ne fait-il pas reculer les croyances ?

Parce que les opinions et les croyances se forgent dans le vide laissé par l’ignorance et l’absence d’informations. Lorsqu’il n’y a pas d’explications, notre cerveau les invente. Or, Malgré les progrès scientifiques, il restera toujours des zones d’ombre et d’ignorance où viendront se loger les croyances. D’ailleurs, plus nos connaissances progressent, plus elles dévoilent notre ignorance ! Ainsi, la connaissance gagne du terrain, mais la croyance n’en perd pas.

Aaron C. T. Smith, spécialiste du changement, pense que la sélection naturelle a fait en sorte que notre esprit serve surtout à acquérir, stocker et propager des croyances. A priori, nos croyances ont tenu un rôle décisif dans notre évolution, sinon elles auraient disparu, et nous avec elles ! Il pense que notre esprit est « précâblé » pour accueillir des croyances qui nous renforcent à titre personnel, culturel et social. S’il a raison, les croyances ont encore de beaux jours devant elles.
Enfin, les croyances ont des vertus que les connaissances n’ont pas : elles offrent une interprétation du monde qui simplifie nos vies, elles proposent des raccourcis à notre cerveau qui adore s’économiser, elles atténuent notre anxiété en fournissant des réponses 
à nos interrogations et elles ont leur propre logique, qui n’est pas rationnelle, en répondant à nos « pourquoi », alors que les connaissances répondent plutôt à nos « comment ».

 

Merci Yves Bernheim

 

Le livre : Pourquoi les imbéciles ne changent pas d’avis, Yves Bernheim, Laurent Storch, Audible Studios, 2019.